jeudi 2 avril 2015

Innocent XI - Coelestis Pastor (le quiétisme)

Innocent, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu : à la mémoire perpétuelle de la chose.

Le céleste pasteur notre Seigneur Jésus-Christ voulant par sa miséricorde ineffable tirer le monde des ténèbres et des erreurs où il étoit enseveli au milieu de la gentilité, et de la puissance du démon, sous laquelle il gémissoit depuis la chute de notre premier père, s’est abaissé jusqu’à prendre notre chair en témoignage de sa charité envers nous, et s’est offert à Dieu une hostie vivante pour nos péchés, ayant attaché à la croix la cédule de notre rédemption. Aussitôt, prêt à retourner au ciel, laissant sur la terre l’Église catholique son épouse, comme cette sainte cité la nouvelle Jérusalem, descendant du ciel, n’ayant ni tache ni ride, étant une et sainte, entourée des armes de sa toute-puissance contre les portes de l’enfer, il l’a donnée à gouverner au prince des apôtres et à ses successeurs, afin qu’ils gardassent saine et entière la doctrine qu’ils avoient apprise de la bouche de leur maître, et que les ouailles rachetées au prix de son sang, ne retombassent point dans leurs anciennes erreurs par l’appât des opinions dépravées; comme nous apprenons, dans les sainte Écritures, qu’il a recommandé principalement à saint Pierre. Car à quel autre d’entre les apôtres a-t-il dit : Pais mes brebis; et encore : J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne manque point; et lorsque tu seras converti, fortifie tes frères? Aussi nous, qui sommes assis dans la chaire de saint Pierre, et revêtu de sa puissance, non par nos mérites, mais par le conseil impénétrable du Dieu tout-puissant, avons-nous toujours eu cette sollicitude dans l’esprit, que le peuple chrétien gardât la foi prêché par Jésus-Christ et par ses apôtres, qui nous est venue par une tradition constante et non interrompue, et doit durer jusqu’à la fin du monde, selon sa promesse.

Comme donc il a été rapporté à notre apostolat que le nommé Michel de Molinos a enseigné de vive voix et par écrit des maximes impies qu’il a même mises en pratique, par lesquelles sous prétexte d’une oraison de quiétude contraire à la doctrine et à la pratique des saints Pères, depuis la naissance de l’Église, il a précipité les fidèles de la vraie religion et de la pureté de la piété chrétienne, dans des erreurs très grandes et dans des infamies honteuses : nous, qui avons tant à cœur que les âmes confiées à nos soins puissent heureusement arriver au port du salut, bannissant toute erreur et toute opinion mauvaise, avons ordonné, sur des indices très-certains, que le susdit Michel de Molinos fût mis en prison. Ensuite, après avoir ouï en notre présence et dans la présence de nos vénérables frères les cardinaux de la sainte Église Romaine, inquisiteurs généraux dans toute la république chrétienne, députés spécialement par autorité apostolique, plusieurs docteurs en théologie, ayant aussi pris leurs suffrages de vive voix et par écrit, et les ayant mûrement examinés, l’assistance du Saint-Esprit implorée, nous avons ordonnée, de l’avis commun de nos susdits frères, que nous procéderions, come s’ensuit, à la condamnation des propositions ici rapportées, dont Michel de Molinos et auteur, qu’il a reconnu être les siennes, qu’il a été convaincue, et qu’il a confessé respectivement avoir dictées, écrites, communiquées et crues, ainsi qu’il est porté plus au long dans son procès et dans le décret qui a été fait par notre ordre, le 28 août de la présente année 1687.

1re proposition

Il faut que l’homme anéantisse ses puissances : c’est la voie intérieure.

2e proposition

Vouloir faire une action, c’est offenser Dieu, qui veut être seul agent; c’est pourquoi il faut s’abandonner totalement à lui, et demeurer ensuite comme un corps sans âme.

3e proposition

Le vœu de faire quelque bonne œuvre, est un empêchement à la perfection

4e proposition

L’activité naturelle est ennemie de la grâce; c’est un obstacle aux opérations de Dieu et à la vraie perfection; parce que Dieu veut agir en nous sans nous.

5e proposition

L’âme s’anéantit par l’inaction, retourne à son principe et à son origine, qui est l’essence divine, dans laquelle elle demeure transformée et déifiée : alors aussi Dieu demeure en lui-même, puisque ce n’est plus deux choses unies, mais une seule chose : et c’est ainsi que Dieu vit et règne en nous, et que l’âme s’anéantit même dans sa puissance d’agir.

6e proposition

La voie intérieure est celle où l’on ne connoît ni lumière, ni amour, ni résignation : il ne faut pas même connoître Dieu; et c’est ainsi que l’on s’avance à la perfection

7e proposition

L’âme ne doit penser ni à la récompense, ni à la punition, ni au paradis, ni à l’enfer, ni à la mort, ni à l’éternité.

8e proposition

Elle ne doit point désirer de savoir si elle marche dans la volonté de Dieu, ni si elle y est assez résignée ou non; et il n’est pas besoin qu’elle veuille connoître son état ni son propre néant, mais elle doit demeurer comme un corps sans vie.

9e proposition

L’âme ne se doit souvenir, ni d’elle-même, ni de Dieu, ni d’aucune chose : car dans la vie intérieur toute réflexion est nuisible, même celle qu’on fait sur ses propres actions humaines et sur ses propres défauts.

10e proposition

Si par ses propres défauts elle scandalise les autres, il n’est pas encore nécessaire qu’elle fasse aucune réflexion, pourvu qu’elle ne soit point dans la volonté actuelle de les scandaliser : et c’est une grande grâce de Dieu, de ne pouvoir plus réfléchir sur ses propres manquements.

11e proposition

Dans le doute, si l’on est dans la bonne ou dans la mauvaise voie, il ne faut pas réfléchir.

12e proposition

Celui qui a donné son libre arbitre à Dieu, ne doit plus être en souci d’aucune chose, ni de l’enfer, ni du paradis : il ne doit avoir aucun désir de sa propre perfection, ni des vertus, ni de sa sanctification, ni de son salut, dont il doit perdre l’espérance.

13e proposition

Après avoir remis à Dieu notre libre arbitre, il lui faut aussi abandonner toute pensée et tout soin de tout ce qui nous regarde; même le soin de faire en nous sans nous sa divine volonté.

14e proposition

Il ne convient point à celui qui s’est résigné à la volonté de Dieu, de lui faire aucune demande; parce que la demande est une imperfection, étant un acte de propre volonté et de propre choix; c’est vouloir que la volonté divine soit conforme à la nôtre : aussi cette parole de l’Évangile : Demandez, et vous recevrez, n’a-t-elle pas été dite par Jésus-Christ pour les âmes intérieures, qui n’ont point de volonté, puisqu’enfin ces âmes parviennent au point de ne pouvoir faire aucune demande à Dieu.

15e proposition

De même que l’âme ne doit faire à Dieu aucune demande, elle ne doit aussi lui rendre grâces d’aucune chose, l’un et l’autre étant un acte de propre volonté.

16e proposition

Il n’est pas à propos de chercher des indulgences pour diminuer les peines dues à nos péchés, parce qu’il vaut mieux satisfaire à la justice de Dieu, que d’avoir recours à sa miséricorde; l’un venant de l’amour pur de Dieu, et l’autre de l’amour intéressé de nous-mêmes : aussi est-ce chose qui n’est point agréable à Dieu, ni d’aucun mérite devant lui, puisque c’est vouloir fuir la croix.

17e proposition

Le libre arbitre étant remis à Dieu avec le soin et la connoissance de notre âme, il ne faut plus avoir aucune peine des tentations, ni se soucier d’y faire aucune résistance, si ce n’est négative sans aucune autre application : que si la nature s’émeut, laissez-la s’émouvoir, ce n’est que la nature.

18e proposition

Celui qui dans l’oraison se sert d’images, de figures, d’idées, ou de ses propres conceptions, n’adore point Dieu en esprit et en vérité.

19e proposition

Celui qui aime Dieu à la manière que la raison prouve qu’il le faut aimer, et que l’entendement le conçoit, n’aime point le vrai Dieu.

20e proposition

C’est une ignorance de dire que dans l’oraison il faut s’aider de raisonnement et de pensées, lorsque Dieu ne par le point à l’âme : Dieu ne parle jamais; sa parole est son action : et il agit dans l’âme toutes les fois qu’elle n’y met point d’obstacle par ses pensées ou par ses opérations.

21e proposition

Il faut, dans l’oraison, demeurer dans la foi obscure et universelle, en quiétude, et dans l’oubli de toute pensée particulière, même de la distinction des attributs de Dieu et de la Trinité : il faut demeurer ainsi en la présence de Dieu pour l’adorer, l’aimer et le servir, mais sans produire aucun acte, parce que Dieu n’y prend pas plaisir.

22e proposition

Cette connoissance par la foi n’est pas un acte produit par la créature, mais c’est une connoissance donnée de Dieu à la créature, que la créature ne connoît point être en elle, et qu’ensuite elle ne connoît point y avoir été : j’en dis autant de l’amour.

23e proposition

Les mystiques, avec saint Bernard, dans l’Échelle des solitaires, distinguent quatre degrés, la lecture, la méditation, l’oraison et la contemplation infuse. Celui qui s’arrête toujours au premier échelon, ne peut monter au second : celui qui demeure continuellement au second, ne peut arriver au troisième, qui est notre contemplation acquise, dans laquelle il faut persister pendant toute la vie, si Dieu n’attire l’âme, sans toutefois qu’elle le désire, à la contemplation infuse; laquelle venant à cesser, l’âme doit descendre au troisième degré, et s’y fixer tellement qu’elle ne retourne plus ni au second ni au premier.

24e proposition

Quelques pensées qu’il vienne dans l’oraison, même impures, ou contre Dieu et contre les saints, la foi et les sacrements, pourvu qu’on ne s’y entretienne pas volontairement, mais qu’on les souffre seulement avec indifférence et résignation, elles n’empêchent point l’oraison de foi; au contraire, elles la perfectionnent davantage, parce qu’alors l’âme demeure plus résignée à la volonté divine.

25e proposition

Quoiqu’on soit accablé de sommeil et tout-à-fait endormi, on ne cesse pas d’être dans l’oraison et dans la contemplation actuelle; parce que l’oraison et la résignation, la résignation et l’oraison ne sont qu’une même chose, et que l’oraison dure tout autant que la résignation.

26e proposition

La distinction des trois voies, purgative, illuminative et unitive, est la chose la plus absurde qui ait été dite dans la mystique : car il n’y a qu’une seule voie qui est la voie intérieure.

27e proposition

Celui qui désire et s’arrête à la dévotion sensible, ne désire ni ne cherche Dieu, mais soi-même : et celui qui marche dans la voie intérieure, fait mal de la désirer, et de s’y exciter tant dans les lieux saints qu’aux fêtes solennelles.

28e proposition

Le dégoût des biens spirituels est un bien, parce qu’il purifie l’amour-propre

29e proposition

Quand une âme intérieure a du dégoût des entretiens de Dieu ou de la vertu, et quand elle est froide et sans ferveur, c’est un bon signe

30e proposition

Toute sensibilité dans la vie spirituelle est une abomination, saleté et ordure.

31e proposition

Aucun contemplatif ne pratique de vraies vertus intérieures, parce qu’elles ne se doivent pas connoître par les sens : il faut donc bannir les vertus.

32e proposition

Avant ou après la communion, il ne faut aux âmes intérieures d’autre préparation ni action de grâces que de demeurer dans la résignation passive et ordinaire, parce qu’elle supplée d’une manière plus parfaite à tous les actes de vertus qui se font ou qui se peuvent faire dans la voie commune : que si à l’occasion de la communion il s’élève dans l’âme des sentiments d’humiliation, de demande ou d’actions de grâces, il les faut réprimer toutes les fois qu’on verra qu’ils ne viennent point d’une inspiration particulière de Dieu : autrement ce sont des émotions de la nature qui n’est pas encore morte.

33e proposition

L’âme, qui marche dans cette voie intérieure, fait mal d’exciter en elle par quelque effort, aux fêtes solennelles, des sentiments de dévotion; parce que tous les jours de l’âme intérieure sont égaux, et tous lui sont jours de fêtes : j’en dis autant des lieux sacrés, car tous les lieux lui sont aussi égaux.

34e proposition

Il n’appartient pas aux âmes intérieures de faire à Dieu des actions de grâces en paroles et de la langue; parce qu’elles doivent demeurer en silence, sans opposer aucun obstacle à l’opération de Dieu en elles : aussi éprouvent-elles, à mesure qu’elles sont plus résignées à Dieu, qu’elles peuvent moins réciter l’Oraison dominical ou Notre Père.

35e proposition

Il ne convient point aux âmes intérieures de faire des actions de vertus par leur propre choix et leurs propres forces; autrement elles ne seroient point mortes : ni de faire des actes d’amour envers la Sainte Vierge, les saints et l’humanité de Jésus-Christ, parce qu’étant des objets sensibles, l’amour en est de même nature.

36e proposition

Aucune créature, ni la bienheureuse Vierge, ni les saints ne doivent avoir place dans notre cœur, parce que Dieu veut seul le remplir et le posséder.

37e proposition

Dans des tentations même d’emportement, l’âme ne doit point faire des actes explicites des vertus contraires, mais demeurer dans l’amour et dans la résignation qu’on a dit.

38e proposition

La croix volontaire des mortifications est un poids insupportable et sans fruit; c’est pourquoi il faut s’en décharger.

39e proposition

Les plus saintes actions, et les pénitences que les saints ont faites, ne sont point suffisantes pour effacer de l’âme la moindre attache.

40e proposition

La sainte Vierge n’a jamais fait aucune action extérieure, et néanmoins elle a été la plus sainte de tous les saints : on peut donc parvenir à la sainteté sans action extérieure.

41e proposition

Dieu permet et veut pour nous humilier, et pour nous conduire à la parfaite transformation, que le démon fasse violence dans le corps à certaines âmes parfaites, qui ne sont point possédées, jusqu’à leur faire commettre des actions animales, même dans la veille et sans aucun trouble de l’esprit, en leur remuant réellement les mains et d’autres parties du corps, contre leur volonté : ce qu’il faut entendre d’autres actions mauvaises par elles-mêmes, qui ne sont point péché en cette rencontre, parce qu’il n’y a point de consentement.

42e proposition

Ces violences à des actions terrestres peuvent arriver en même temps entre deux personnes de différent sexe, et les pousser jusqu’à l’accomplissement d’une action mauvaise.

43e proposition

Aux siècles passés, Dieu faisoit les saints par le ministères des tyrans, maintenant il les fait par le ministère des démons, en excitant en eux ces violences, afin qu’ils se méprisent et s’anéantissent d’autant plus, et s’abandonnent totalement à Dieu.

44e proposition

Job a blasphémé, et cependant il n’a point péché par ses lèvres, parce que c’étoit une violence du démon.

45e proposition

Saint Paul a ressenti dans son corps ces violences du démon; d’où vient qu’il a écrit : Je ne fais point le bien que je veux, mais je fais le mal que je hais.

46e proposition

Ces violences sont plus propres à anéantir l’âme et à la conduire à la parfaite union et transformation : il n’y a pas même d’autre voie pour y parvenir, et celle-ci est la plus courte et la plus sûre.

47e proposition

Quand ces violences arrivent, il faut laisser agir satan, sans s’y opposer ni effort ni adresse, mais demeurer dans son néant : et quoiqu’il s’en ensuive l’illusion des sens, ou d’autres actions brutales, et encore pis, il ne faut pas s’inquiéter, mais rejeter loin les scrupules, les doutes et les craintes; parce que l’âme en est plus éclairée, plus fortifiée et plus pure, et acquiert la sainte liberté : surtout il faut bien se garder de s’en confesser, c’est très-bien fait de ne s’en point accuser, parce que c’est le moyen de vaincre le démon, et de s’amasser un trésor de paix.

48e proposition

Satan, auteur de ces violences, tâche ensuite de persuader à l’âme que ce sont de grands péchés, afin qu’elle s’en inquiète, et qu’elle n’avance pas davantage dans la voie intérieure : c’est pourquoi, pour rendre ses efforts inutiles, il vaut bien mieux ne s’en point accuser, puisqu’aussi bien ce ne sont point des péchés, pas même véniels.

49e proposition

Par la violence du démon Job étoit emporté à des excès étranges, en même temps qu’il levoit ses mains pures au ciel dans la prière : ainsi que s’explique ce qu’il dit au chap. XVI de son livre.

50e proposition

David, Jérémie, et plusieurs saints prophètes souffroient ces sortes de violences au dehors dans de semblables actions honteuses.

51e proposition

Il y a dans la sainte Écriture plusieurs exemples de ces violences à des actions extérieures, mauvaises d’elles-mêmes : comme quand Samson se tua avec les Philistins, quand il épousa une étrangère, et qu’il pécha avec Dalila; choses d’ailleurs défendues et certainement péchés : quand Judith mentit à Holoferne : quand Elisée maudit les enfants : quand Elie fit brûle les chefs du roi Achab avec leurs troupes : on laisse seulement à douter si cette violence venoit immédiatement de Dieu, ou du ministère des démons, comme il arrive aux autres âmes.

52e proposition

Quand ces sortes de violences, même honteuses, arrivent sans trouble de l’esprit, alors l’âme peut s’unir à Dieu, comme en effet elle s’y unit toujours.

53e proposition

Pour connoître dans la pratique si quelque action dans les autres personnes vient de cette violence, la règle que j’en ai n’est pas seulement tirée des protestations que ces âmes font de n’avoir pas consenti à ces violences, ou de ce qu’il est impossible qu’elles jurent faussement de n’y avoir pas consenti, ou de ce que ce sont des âmes avancées dans la voie intérieure; mais je la prends bien plutôt d’une certaine lumière actuelle, supérieure à toute connoissance humaine et théologique, qui me fait connoître certainement avec une conviction intérieure, que telle action vient de la violence; or je suis certain que cette lumière vient de Dieu, parce qu’elle me vient jointe à la conviction que j’ai qu’elle est de Dieu; de sorte qu’elle ne me laisse point l’ombre du moindre doute au contraire : de même qu’il arrive quelquefois que Dieu révélant quelque chose à une âme, il la convainc en même temps que la révélation vient de lui, de sorte qu’elle n’en peut avoir aucun doute.

54e proposition

Les spirituels, qui marchent dans la voie commune, seront bien trompés et bien confus à la mort avec toutes les passions qu’ils auront à purifier en l’autre monde.

55e proposition

Par cette voie intérieure on parvient, quoique avec beaucoup de peine, à purifier et à éteindre toutes les passions; de sorte qu’on ne sent plus rien, quoi que ce soit, pas le moindre aiguillon; on ne sent pas plus de révolte, que si le corps étoit mort, et l’âme n’est plus sujette à aucune émotion

56e proposition

Les deux lois et les deux convoitises, l’une de l’âme, et l’autre de l’amour-propre, subsistent autant que règne l’amour-propre : c’est pourquoi quand une fois il est épuré et mort, comme il arrive dans la voie intérieure, alors aussi meurent les deux lois et les deux convoitises; on ne fait plus aucune chute; ne sent aucune révolte; et il n’y a plus même de péché véniel.

57e proposition

Par la contemplation acquise on parvient à l’état de ne plus faire aucun péché, ni mortel ni véniel.

58e proposition

On acquiert cet état en ne faisant plus aucune réflexion sur ses actions, parce que les défauts viennent de la réflexion.

59e proposition

La voie intérieure n’a aucun rapport à la confession, aux confesseurs, aux cas de conscience, à la théologie, ni à la philosophie.

60e proposition

Dieu rend la confession impossible aux âmes avancées, quand une fois elles commencent à mourir aux réflexions, ou qu’elles y sont tout-à-fait mortes : aussi y supplée-t-il par une grâce qui les préservent autant que celle qu’elles recevroient dans le sacrement : c’est pourquoi en cet était il n’est pas bon que ces âmes fréquentent la confession, parce qu’elle leur est impossible.

61e proposition

Une âme arrivée à la mort mystique ne peut plus vouloir autre chose que ce que Dieu veut, parce qu’elle n’a plus de volonté, et que Dieu la lui a ôtée.

62e proposition

La voie intérieure conduit aussi à la mort des sens : bien plus, une marque qu’on est dans l’anéantissement, qui est la mort mystique, c’est que les sens extérieurs ne nous représentent par plus les choses sensibles que si elles n’étoient point du tout, parce qu’alors elles ne peuvent plus faire que l’entendement s’y applique.

63e proposition

Par la voie intérieure on parvient à un état toujours fixe d’une paix imperturbable.

64e proposition

Un théologien a moins de disposition qu’un idiot à la contemplation : 1e parce qu’il n’a pas une foi si pure, 2e qu’il n’est pas si humble, 3e qu’il n’a pas tant de soin de son salut; 4e parce qu’il a la tête pleine de rêveries, d’espèces, d’opinions, et de spéculations : de sorte que la vraie lumière n’y trouve point d’entrée.

65e proposition

Il faut obéir aux supérieurs dans les choses extérieures; le vœu d’obéissance des religieux ne s’étend qu’aux choses de cette nature; mais pour l’intérieur, il en est tout autrement; il n’y a que Dieu seul et le directeur qui en connoissent.

66e proposition

C’est une doctrine nouvelle dans l’Église, et digne de risée, que les âmes dans leur intérieur doivent être gouvernées par les évêques; et que l’évêque en étant incapable elles doivent se présenter à lui avec leurs directeurs : c’est, dis-je, une doctrine nouvelle, puisqu’elle n’est enseignée ni dans l’Écriture, ni dans les conciles, ni dans les canons, ni dans les bulles, ni par aucun saint ou par aucun auteur, et qu’elle ne le peut être; l’Église ne jugeant point des choses cachées, et toute âme ayant droit de se choisir qui bon lui semble.

67e proposition

C’est une tromperie manifeste, de dire qu’on est oblgé de découvrir son intérieur au for extérieur des supérieurs, et que c’est péché de ne le point faire, parce que l’Église ne juge point des choses cachées, et que l’on fait un très-grand tort aux âmes par ces illusions et ces déguisements.

68e proposition

Il n’y a dans le monde ni autorité, ni juridiction qui ait droit d’ordonner que les lettres des directeurs sur l’intérieur des âmes soient communiquées : c’est pourquoi il est bon qu’on soit averti que c’est une entreprise du démon.

Lesquelles propositions, de l'avis de nos susdits frères les cardinaux de la sainte Eglise romaine, et inquisiteurs généraux , nous avons condamnées, notées, et effacées, comme hérétiques , suspectes , erronées, scandaleuses, blasphématoires , offensives des oreilles pieuses, téméraires, énervant et détruisant la discipline chrétienne, et séditieuses , respectivement et pareillement tout ce qui a été publié sur ce sujet , de vive voix, ou par écrit, ou imprimé: avons défendu à tous et à un chacun de parler en aucune manière, d'écrire ou disputer de ces propositions et de toutes autres semblables, ni de les croire, retenir, enseigner, ni de les mettre en pratique avons privé les contrevenants, dès à présent et pour toujours, de toutes dignités , degrés , honneurs, bénéfices et offices, et les avons déclarés inhabiles à en posséder jamais , et en même temps nous les avons frappés de l'anathème , dont ils ne pourront être absous que par nous ou nos successeurs les pontifes romains.

En outre nous avons défendu et condamné , par notre présent décret, tous les livres, et tous les ouvrages du même Michel de Molinos, en quelque lieu et en quelque langue qu'ils soient imprimés , même les manuscrits, avec défense à toute personne, de quelque degré, état et condition qu'il puisse être, et quoique par sa dignité il dût être nommé , d'oser , sous quelque prétexte que ce soit, les imprimer en toute langue , dans les mêmes termes , ou en de semblables, ou équivalents , ou sans nom , ou sous un nom feint et emprunté, ni les faire imprimer, ni même les lire ou retenir Chez soi imprimés ou manuscrits , mais de les porter aussitôt, et de les mettre entre les mains des ordinaires des lieux ou des inquisiteurs contre le venin de l'hérésie , sous les peines portées ci-dessus; avec ordre de les brûler à la diligence desdits ordinaires ou inquisiteurs. Enfin , pour punir le susdit  Michel de Molinos de ses hérésies , erreurs et faits honteux, par des châtimens proportionnés, qui servissent d'exempleaux autres, et à lui de correction lecture faite de tout son procès dans notre congrégation susdite ouïs nos très-chers fils les consulteurs du saint Office , docteurs en théologie et en droit canonique, de l'avis commun de nos vénérables frères susdits les cardinaux de la sainte Eglise Romaine ; Nous avons condamné dans toutes les formes de la justice , ledit Michel de Molinos comme coupable, convaincu, et après avoir avoué respectivement, et comme hérétique déclaré, quoique repentant, à la peine d'une étroite et perpétuelle prison, et à des pénitences salutaires qu'il sera tenu d'accomplir, après toutefois qu'il aura fait abjuration suivant le formulaire qui lui sera prescrit : ordonnant 'qu'au jour, et à l'heure marqués, dans l'église de Sainte-Marie de la Minerve de cette ville , en présence de tous nos vénérables frères les cardinaux de la sainte Eglise Romaine, prélats de notre Cour, même de tout le peuple qui y sera invité par la concession des indulgences, sera lue d'un lieu élevé la teneur du procès, le même Michel de Molinos étant debout sur un échafaud , ensemble la sentence qui s'en est ensuivie : et après que ledit de Molinos, revêtu de l'habit de pénitent, aura abjuré publiquement les erreurs et hérésies susdites, nous avons donné pouvoir à notre cher fils le commissaire de notre saint Office, de l'absoudre en la forme ordinaire de l'Eglise, des censures qu'il avoit encourues : ce qui auroit été accompli en tout point, en exécution de notre ordonnance du 3 septembre de la présente année.

Et quoique le susdit décret, fait par notre ordre, ait été imprimé , publié et affiché en lieu public pour l'instruction plus ample des fidèles; néanmoins, de peur que la mémoire de cette condamnation apostolique ne s'efface dans le temps à venir, et afin que le peuple chrétien, instruit de la vérité catholique, marche plus sûrement dans la voie du salut ; en suivant les traces des souverains pontifes nos prédécesseurs , par notre présente constitution qui sera à jamais en vigueur, nous approuvons de nouveau et confirmons le décret susdit , et ordonnons qu'il soit mis à exécution comme il le doit être , condamnant en outre définitivement et réprouvant les propositions susdites , les livres et manuscrits du même Michel de Molinos I dont nous interdisons et défendons la lecture, sous les mêmes peines et censures portées et infligées contre les contrevenans.

Ordonnant au surplus que les présentes lettres auront force, sont et seront en vigueur perpétuellement et à toujours , sortiront et auront leur plein et entier effet : que tous juges ordinaires et délégués, et de quelque autorité qu'ils soient ou puissent être revêtus , seront tenus de juger et déterminer conformément à icelles, tout pouvoir et autorité de juger ou interpréter autrement leur étant ôtés à tous et à chacun d'eux ; déclarant nul tout jugement , et comme non avenu, sur ces matières à ce contraire, de quelque personne et de quelque autorité qu'il vienne, sciemment ou par ignorance. Voulons que foi soit ajoutée aux copies des présentes môme imprimées, soussignées de la main d'un notaire public, et scellées du sceau d'une personne constituée en dignité ecclésiastique, comme on l'auroit ces mômes lettres représentées en original. Qu'il ne soit donc permis à aucun homme, par une entreprise téméraire, de violer ou de contrevenir au contenu de notre présente approbation , confirmation, condamnation, réprobation , punition , décret et volonté. Que celui qui osera l’entreprendre, sache qu'il s'attirera l'indignation du Dieu tout-puissant et des bienheureux apôtres S.Pierre et S. Paul. Donné à Rome, à Sainte-Marie-Majeure ; le vingtième novembre-, l'an mil six cent quatre - vingt-sept de l'Incarnation de notre Seigneur, et le douzième de notre pontificat. Signé F. Dataire. Et plus bas, J. F. Albani. Registrée au secrétariat des brefs, etc.

L'an de notre Seigneur Jésus - Christ mil six cent quatre-vingt-huit, indiction. onzième , le 19 février ; et du pontificat de notre saint Père le Pape par la providence divine Innocent XI , l'an douzième, les présentes lettres apostoliques ont été publiées et affichées aux portes de l'église de Saint-Jean de Latran, de la basilique de Saint-Pierre , et de la chancellerie apostolique , et à la tête du champ de Flore, et aux autres lieux accoutumés de la ville, par moi François Perino, courrier de notre saint Père le Pape et de la très-sainte Inquisition.

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